UNE TERRE POUR SYLVIAN MESCHIA

 

Le potier est un fabricant de jardin, de closerie, d'hortillonnage, un planteur d'écritures, un tomateur, un chemineur de formes. Il construit des vases et des bols et des torchères de terre. Il aime les amphores, les canopes, les cérames, les cratères et autres hydries. C'est un terrien, un terreux, un glébeux, un Adam rouge. Il ouvre, dilate, évase et ferme la terre. Sont convoqués tous les sables, graviers et sédiments, de la troisième planète du soleil jusqu'aux croutes que fait son sang quand il sèche. Entre le sous-sol et la surface, il déterre, exhume, déracine des bols pour que nous buvions.

Chaque objet qu'il fabrique est un continent, une île ou une péninsule. Il est calcaire, il aime écrire ses écritures sur les tableaux du monde avec de la craie. La terre est légère sur les morts qu'il porte en lui. C'est un maître d'école des souterrains de l'air.

Comment être potier sans aimer les jardins ? Ainsi dans ses allées où on égorge des tomates, il dresse des tonneaux d'écriture pour que les errants viennent y boire tout ce que la littérature n'a pas cessée d'écouler.

Le potier est un calligraphe qui décline les signes, un recopieur inlassable d'alphabets, parce que la poterie est un silence qui se lit.

Le potier invite les passants à tourner les pages des paysages qu'il invente avec des légumes.

Ses mains sont rouges et cramoisies, car il peint le monde dans la couleur qui le met parfois debout.

Incisions d'épitaphes tremblées, il laisse voir la terre en la cachant. Ses cimetières font rire jusqu'aux de ses bols cassés.

Le potier aime les fruits et les archéologies issues du sable.

Son art accommode ses propres ruines, ses lézardes, ses brisures et atrophies supérieures. Les tessons de son âme sont mangés par nos yeux crevés. La poterie nous nourrit du destin de ses lettres indéchiffrables. Car c'est l'illisible qui nous lit.

Le potier tourne le monde, et l'on ne sait, si c'est le soleil qui plane au-dessus de lui, un aigle, ou lui-même, comme un ange fracassé qui va coller ses naïvetés bleues sur le tympan d'une cathédrale.

Sur le tour, le potier se tourne jusqu'à ce que les promeneurs et les chemins s'arrêtent et débordent leurs paroles.

Le potier est inventeur de brouillons, de palimpsestes bouillis et de parchemins de terre crue.

Derrière ses papiers ou ses briques rouges cuites par les abeilles, des petits miroirs le traversent pour photographier sa vie, que lui seul met en partage, avec ses ombres hachées d'un peu de jazz paysan.

Serge Pey

16 mars 2015